Journal L'oisif - Printemps 2019

17 arts Je me laisse porter par le vent. Chaque bourrasque semble me faire voler. Découvrir tout ce que je voudrais savoir, tout ce que je voulais savoir. Chaque soupir me laisse les réponses. Ces réponses qui, sans même que je le sache, m’étaient cachées, m’étaient interdites, me touchaient. Elles se soufflaient d’elles-mêmes, devant moi, me laissant glisser sur les mots qu’elles employaient. Et moi, m’y ins- tallant comme l’humain se dépose et reste dans le confort de sa souffrance, dans sa peur du vrai, j’écoutais pour la première fois. Ce qui serait sans doute la première de la dernière fois, j’apprenais. Là, je n’écoute plus, je n’apprends plus. Je me laisse porter par le vent. Je me laisse porter par le temps. Ce temps qui me laisse le doute de l’existence même et qui crée sans même qu’il le sache, la plus grande source de problème qui existe. Pourtant le temps, entité maudite qui ne cherche rien, n’a rien demandé, elle est seulement créée par les êtres, trop tordus pour être capables de s’accuser soi-même. Ce temps qui est venu à bout de chaque être passé et qui viendra à bout de chaque être étant. Temps, qui part avec le vent, qui souhaite être le vent. Vent sur lequel je me laisse porter et comme le souhaite le temps, je me laisse porter par lui, il est mon vent. Je me laisse porter par le désir. Celui qui prend forme dans le ventre, qui s’exprime dans les yeux, qui crée les gestes les plus dures, les plus doux. Je me laisse porter par le dé- sir, lui de te revoir. Lui de comprendre ton départ et de comprendre ce qui t’a poussé à le faire. Je me laisse porter par ton désir de vie, celui que tu n’avais pas encore fini de consumer et que tu me laisses en héritage pour m’ap- prendre dans tous mes sens ce qu’est la vie, telle que tu l’as vue, telle que tu m’as appris à voir. Alors je me laisse porter par le désir, celui de vivre comme tu aurais voulu me voir vieillir. Je me laisse porter par les souvenirs. Ceux que tu m’as laissés, portant même les tiens, car chaque histoire nar- rée reste une entité à l’esprit. Les souvenirs de tes sourires, du son de ta voix, lui de ton rire, qui semblent me hanter chaque nuit dans mon sommeil, me laissant en pleure dès le matin. Je me laisse porter par tes souvenirs, ceux que tu as bien voulu me laisser, comme marque de ton passage infini, lui de ton cœur encore en vie. Je me laisse porter par ta vie, qui semble prendre en fu- mée à chaque chose qui sont dites, rendant son tout ta- bou, mais ses parties construites. Je me laisse porter par ta vie, souhaitant que tu puisses me pardonner de pas la faire mienne. Sarah-Jade Desbiens Le petit renard effrayé se morfond dans les broussailles jaunies de la plaine. Ses babines encore gercées de lait maternel, le voilà seul, faible et égaré dans l’arène sauvage des éléments. Sa mère est loin déjà ; seules les caresses hypocrites de Gaïa pourront désormais réconforter ses pleurs. Lorsque le sommeil daigne engourdir ses maux pour quelques heures, il regarde avec un ravissement naïf la chaude tanière des jours perdus se rebâtir autour de lui. Ah, que l’illusion est cruelle! À peine le petit renard s’est-il blotti par- mi les siens qu’on l’arrache à son réconfort pour l’abandonner à nouveau dans la froideur de sa solitude. Intimidé par les balises nocturnes qui se remettent en place, le renard disparaît sous la terre. Après seulement quelques batte- ments de son cœur hystérique, un brin de chaleur lui pince la joue et le ramène à la surface. Relevant son regard hébété, le re- nard aperçoit dans le lointain une chaleureuse lueur qui crache vers lui une pluie de poussière lumineuse. Excité par ce spectacle inespéré, le renard se lève et court tel un évadé vers la source de ce réconfort mystérieux. Il voit alors une sphère de flamme gra- viter devant lui, emprisonnée dans un orbe translucide. Fasciné, il laisse la boule de feu l’accueillir tendrement dans sa chaleur. Il s’y berce un instant, puis la sent graduellement mourir, jusqu’à disparaître complètement. Le renard est à nouveau seul dans l’obscurité froide de la forêt. Sa mélancolie revient aussi vite qu’a disparu la chaleur. Mais tan- dis qu’il s’abandonne à ses sombres pensées, des restes fumants de la sphère ardente s’élève doucement une gracieuse créature toute de lumière enrobée. La nymphe s’avance vers le renard, le prend dans ses bras, le cajole, l’embrasse, le console. Doucement, le renard sent ses forces lui revenir. La créature se fond en lui et sa fourrure rousse s’embrase. L’union de leurs corps engendre des torrents de flammes qui s’étendent à la terre entière. Arbres, oiseaux, océans ; tout brûle, tout s’effondre, tout recommence. Le monde renaît de ses cendres sous la bénédiction de ses nou- veaux géniteurs et grave à jamais leurs noms dans la chair ro- cheuse de ses montagnes ; La nymphe de flammes ; Le petit renard. Philippe Dufresne , 2 e place LEPETIT RENARD ELLE

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